Lug
Ou Lugus chez les Gaulois c’est un peu le prodige universel du monde celtique. Si les dieux avaient un concours d’entrée, il aurait raflé tous les prix. Polytechnicien avant l’heure, inventeur, artiste, stratège, musicien, magicien… bref, l’homme-orchestre du divin.
Les Irlandais l’appellent Lugh Lámhfhada, c’est-à-dire « au long bras », car il pouvait frapper ses ennemis à distance — avec panache, bien sûr. Et comme si cela ne suffisait pas, il est aussi nommé Samildánach, « celui qui maîtrise tous les arts ». Pas étonnant qu’il soit considéré comme la principale divinité du panthéon celtique : il touche à tout, et il le fait bien.
Sa grande fête, la Lugnasad, marquait la transition de l’été vers l’automne, autour des premières semaines d’août. C’était une célébration à la fois agricole, rituelle et joyeuse, un peu comme si l’on fêtait à la fois la moisson, la création artistique et la victoire de la lumière sur les ténèbres.
Lug, c’est aussi une histoire de famille compliquée, digne d’une tragédie mythologique. Fils de Cian et Eithne, il est le petit-fils de Balor, un monstre cyclopéen du peuple des Fomoires — ces forces obscures qui symbolisent le chaos. Une prophétie annonçait que Balor serait tué par son petit-fils, alors évidemment, le grand-père a tout fait pour éviter ce sort. Peine perdue : Lug l’a abattu d’un coup de fronde légendaire, rétablissant ainsi l’équilibre cosmique.
Mais devenir dieu, chez les Celtes, ne se fait pas en un claquement de doigts. Quand Lug se présente à la cour du roi Nuada, le portier lui refuse l’entrée :
— « Es-tu charpentier ? »
— « Oui. »
— « Nous en avons déjà un. »
Et ainsi de suite : forgeron, poète, magicien, historien, harpiste… chaque fois, refusé. Jusqu’à ce qu’il déclare :
— « Je suis joueur d’échecs. »
Là, enfin, on l’accepte. Il défie le roi, gagne la partie, et symboliquement remporte le pouvoir du monde. Rien que ça.
Car Lug n’est pas seulement un guerrier ou un artisan, c’est l’intelligence en action, la pensée créatrice incarnée. Sa fameuse lance magique, capable de tout anéantir si elle n’est pas plongée dans le chaudron du Dagda, reflète la tension entre destruction et maîtrise : le savoir sans sagesse est une arme incontrôlable. Il manie aussi une fronde redoutable, et une harpe enchantée qui peut faire pleurer, rire ou dormir ceux qui l’écoutent — un instrument aussi subtil que son esprit.
Sa gestuelle rituelle — debout sur un pied, un œil fermé, un bras levé — a intrigué bien des chercheurs. Ce n’est pas une mutilation comme chez Odin, mais une mise en scène symbolique du cycle du monde : l’année qui s’éteint, le renouveau qui se prépare. Lug mime le passage, la transformation, le mouvement perpétuel du cosmos.
Et comme si cela ne suffisait pas, les anciens textes irlandais précisent qu’il fut l’inventeur des courses de chevaux et des combats équestres, devenant ainsi le premier cavalier de l’histoire mythique — le dieu qui dompte la vitesse, la force et la grâce.
En somme, Lug est la synthèse parfaite du génie celtique :
• Inventif comme un artisan,
• brillant comme un poète,
• redoutable comme un guerrier,
• lumineux comme un dieu solaire.
Un être total, à la fois créateur et destructeur, dont chaque geste est un acte d’équilibre entre la force et la beauté.
Lug